Haïti : Avec les petits rescapés de Notre-Dame-de-la-Nativité

Publié le par Collectif 35 des amis d'Haïti


Tanguy Berthemet - Envoyé spécial à Port-au-Prince
22/01/2010 | Mise à jour : 09:40

http://www.lefigaro.fr/medias/2010/01/22/f5adeee0-06cd-11df-afc7-9cc69ccbdddb.jpgUne femme prend soin d'un enfant blessé dans un orphelinat, le 16 janvier. Crédits photo : AFP

REPORTAGE - Dans l'orphelinat Notre-Dame-de-la-Nativité, sur les hauteurs de Port-au-Prince, la directrice Éveline Louis-Jacques lutte pour sauver ses enfants.

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Pour la première fois de sa courte vie, cinq mois, Lewin a eu de la chance. Après toute une nuit sous terre, il a été extrait indemne des décombres du foyer Notre-Dame-de-la-Nativité, un orphelinat de Fontamara, sur les hauteurs de Port-au-Prince. « Quand je l'ai vu sortir cela m'a fait plaisir», sourit Éveline Louis-Jacques, la directrice. Elle peine à s'enthousiasmer devant ce petit miracle. Sa volonté et sa force de caractère sont intactes, mais elle ne peut oublier les cinquante-deux pensionnaires dont elle sait en cette fin d'après-midi du 12 janvier, qu'ils ont perdu la vie. «C'est une chose abominable, murmure-t-elle, en caressant le petit cahier bleu à spirales qui renferme les noms des victimes. Tout s'est effondré en un instant.»

 

D'une voix étonnamment vive, elle raconte ce jour de cauchemar. Son arrivée en voiture, juste devant la «crèche», comme elle appelle le foyer. Le choc et le bruit sourd, «comme le bruit d'un orage». Et puis l'immense nuage de poussière qui soudainement a remplacé l'orphelinat. «Les bébés étaient au premier étage. Ils sont presque tous morts.» Une nounou est parvenue à en saisir un avant de sauter dans le vide par une brèche du mur. Une autre réussira à s'extraire du toit avec trois petits sous le bras. Les plus grands, ceux de 3  et 4 ans, rassemblés dans la grande salle du rez-de-chaussée pour regarder un dessin animé, sont parvenus à fuir avant que toute la maison ne s'affaisse sur elle-même. Sans perdre de temps, Éveline a commencé à compter les survivants parmi ses 135 pensionnaires. Un à un, elle les a appelés par leur prénom qu'elle connaît tous.

 

«La solidarité des voisins a été extraordinaire», témoigne-t-elle. Dans ce quartier, relativement épargné, les jeunes se sont jetés dans les gravats, avec des pioches, des barres à mines ou à mains nues, pour sauver ceux qui pouvaient l'être. Douze rescapés sont sortis du tas des ruines. Quatre jours plus tard, des ouvriers, venus en renfort, découvriront Laurence, 2 ans, dans un recoin de sa chambre.

 

«Nous n'avons même plus de petites cuillères»

 

Sur les genoux d'une puéricultrice, la gamine, de gros pansements sur une de ses jambes restée coincée sous un bloc de béton, laisser traîner autour d'elle un regard un peu vide. «Elle a eu très peur, mais maintenant cela va mieux» , affirme Éveline sans se laisser aller au découragement.

 

Depuis ce jour de cauchemar, sans arrêter ou presque, elle lutte pour sauver ses ouailles et organiser un peu le chaos. «Nous n'avons plus rien. Il faut sans cesse improviser. Pour tout. Nous n'avons même plus de petites cuillères», explique Éveline, en jetant un regard désapprobateur sur Paul, un gamin de 3 ans qui ingurgite son bol de riz à pleines poignées. Son voisin, Alvin, un gros pansement autocollant sur la tête, plonge avec des cris de joie les deux mains dans son assiette.

 

Jour après jour, il faut trouver de l'eau et de la nourriture pour 80 bouches. Mercredi un camion a fini par venir remplir d'eau une citerne. Mais les repas demeurent un casse-tête. «Les supermarchés ne sont pas ouverts. On ne peut compter que sur les petites boutiques et c'est très cher. On commence aussi à manquer de cash car les banques sont fermées», détaille Éveline. Elle parvient pourtant, avec des bouts de chandelles, à nourrir les petits.

 

Ces problèmes résolus laissent immédiatement place à d'autres. La sécurité, l'hygiène, le confort. On improvise. Sur le trottoir, au pied des ruines de la bâtisse, des dizaines de vêtements sèchent au soleil, la lessive du jour dans ce qui est désormais la maison des enfants : la rue. Chaque nuit, les gamins se couchent au travers de la chaussée sur quelques matelas, des couvertures ou des «dormidous», de grands draps épais. Les employés tendront dès qu'ils le pourront des bâches pour se protéger de la pluie.

 

«Je n'ai pas assez de courage pour leur dire la vérité»

 

L'énergie d'Éveline a ses limites face aux parents des victimes. «Je fuis les coups de téléphone. Je n'ai pas assez de courage pour leur dire la vérité, pour les entendre pleurer», confesse-t-elle. Tous les enfants, le plus souvent des rejetons de mères célibataires trop pauvres pour prendre soins d'eux, ont déjà des parents adoptifs en France. Une quarantaine d'entre eux devaient partir d'ici au mois de mars vers leur nouvel horizon à Paris, Tours, Lille ou Lyon.

 

«Ce qui me rendrait vraiment service, c'est que l'on accélère les procédures. Que les enfants partent vite», lance Éveline. Elle sait que les démarches délicates d'adoption, les jugements, les décisions des ministères de l'Intérieur et des Affaires étrangères, étapes en principe indispensables au départ des petits, sont enfouis sous les gravats des institutions. Éveline, l'ancienne employée de banque à la retraire, qui s'occupe depuis quinze ans d'orphelins, sait combien le sujet est sensible dans l'île. Mais elle insiste Malgré tout. «Aujourd'hui, c'est une nécessité. Avec le tremblement de terre, nous aurons à nous occuper de dizaines de nouveaux gamins. J'en suis sûre.»

 

Déjà, une mère, qui errait sans abri, a déposé son enfant à Notre-Dame-de-la-Nativité. Le bébé a rejoint ses nouveaux camarades dans la rue. Éveline ne veut plus penser qu'à eux et à l'avenir. «Je ferai déblayer le terrain et construire un nouveau bâtiment». Quand ? Avec quel argent ? Elle avoue n'en avoir aucune idée. «On finira bien par se débrouiller. C'est comme ça, ici, en Haïti. On doit espérer.»

 

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